En pleine montée en puissance du dispositif, le gouvernement suspend MaPrimeRénov’ pour l’été. Fraudes, afflux de dossiers ? Le secteur de l’artisanat bâtiment, lui, redoute un arrêt brutal de l’activité déjà fragilisée par une activité en berne et dénonce un sabotage de la transition écologique.
Le coup est rude. En annonçant la suspension de MaPrimeRénov’ du 1er juillet à fin septembre 2025, le gouvernement a provoqué une onde de choc dans le secteur du bâtiment. Officiellement, Bercy évoque une recrudescence des fraudes et un afflux massif de dossiers. Mais ces justifications peinent à convaincre. Derrière cette décision, c’est toute la crédibilité de l’exécutif en matière de transition écologique qui vacille.
D’abord démentie, l’information révélée par Le Parisien a été confirmée mercredi par le ministre de l’Économie, Éric Lombard, devant le Sénat. Seules les copropriétés échappent à la suspension. Le reste ? En pause forcée pour trois mois. Un gel qui tombe au plus mauvais moment, en pleine montée en puissance du dispositif.
Une efficacité mise en pause
Depuis sa réforme en 2024, MaPrimeRénov’ connaît un engouement. L’Agence nationale de l’habitat (Anah) enregistre autant de demandes en trois mois que sur les trois premiers trimestres de l’année précédente. La rénovation « d’ampleur », bien plus vertueuse sur le plan énergétique, a bondi, triplant même au premier trimestre 2025. Un succès que la suspension risque de briser net.
Dans le bâtiment, la colère gronde. Jean-Christophe Repon, président de la Capeb, évoque « un deuxième choc systémique ». Après les blocages liés au vote du budget en 2024, cette interruption brutale compromet gravement l’activité. « L’an dernier, 27 000 emplois ont été détruits dans les TPE du bâtiment. Et là, sans prévenir, on suspend un outil vital pour la relance », alerte-t-il.
Fraude : prétexte ou réalité ?
Le gouvernement justifie sa décision par un « excès de fraudes ». Certes, les tentatives d’abus sont réelles. En 2023, la DGCCRF a contrôlé 800 établissements, dont la moitié en irrégularité. En 2024, 44 172 dossiers ont été rejetés pour suspicion de fraude, soit un sur dix. Mais ces dérives sont connues depuis 2022. Des contrôles renforcés ont été déployés et les sanctions se sont durcies.
Jean-Christophe Repon ne mâche pas ses mots : « La fraude est endémique, on le dit depuis des mois. Quand un chantier passe de 8 000 à 80 000 euros en empilant les gestes de rénovation, ça attire les margoulins. Mais ce n’est pas une raison pour bloquer tout le système. » Pour lui, il faut revoir la philosophie du dispositif, clarifier les règles, mais surtout, ne pas tuer la dynamique engagée.
Un budget en trompe-l’œil
Autre point d’achoppement : le financement. L’État affirme qu’il n’y a « pas de sujet budgétaire ». MaPrimeRénov’ disposerait de 3,6 milliards d’euros en 2025, dont 2,3 milliards inscrits au budget de l’État, le reste venant d’autres sources. Pourtant, la baisse continue des crédits – 4 milliards initialement prévus en 2024, ramenés à 3,1 puis à 2,3 pour 2025 – fait craindre que l’enveloppe ait déjà été engloutie. Une hypothèse que Bercy réfute, chiffres à l’appui : 1,3 milliard d’euros auraient été dépensés à ce jour.
Mais à ce rythme, même le ministère du Logement admet que les fonds pourraient être épuisés dès octobre. Alors pourquoi ne pas l’assumer franchement ? Pourquoi sabrer ce levier de la rénovation énergétique en plein été, au moment où les artisans peuvent justement avancer les chantiers ?
La Capeb veut aller à Matignon
Cette suspension s’ajoute à une série de décisions perçues comme des reculs : baisse du bonus écologique, coup de rabot sur le fonds vert, fin du bouclier tarifaire. De quoi alimenter les doutes sur la réelle ambition écologique du gouvernement.
La Capeb demande à être reçue par le Premier ministre François Bayrou pour plaider la cause du terrain. Jean-Christophe Repon insiste : « Si on ne recrée pas d’activité grâce à ce levier, ce sera moins d’emplois, moins de rentrées fiscales, et une perte de confiance totale. »
Dominique PARRAVANO